Quand internet vient au secours de la presse écrite

Afghalibre

Faute de trésorerie, Roz, un magazine féminin afghan, fait par et pour les femmes dans un pays aux traditions patriarcales et ou les talibans imposent la charia, a du cesser sa publication après 10 ans d’existence… Mais c’était sans compter sur l’aide d’internet, qui a permis au mensuel de renaître en ligne. Sa rédactrice en chef ambitionne d’en faire maintenant un site d’informations ainsi qu’un réseau pour les Afghanes.

Un projet engagé

Le projet d’origine, lancé en avril 2002 quelques mois après la chute du régime taliban, prévoyait de créer un magazine féminin en version papier, projet porté par l’association Afghanistan Libre. « Le but du magazine, c’est de permettre aux Afghanes de comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur du pays, mais aussi à l’extérieur, comme en Occident », explique sa fondatrice, Chékéba Hachemi.

Cinq journalistes afghanes avaient relevé ce défi fou, qui était aussi l’occasion de résister face à la pression et défendre les libertés bafouées des femmes dans ce pays ou l’obscurantisme règne. Roz était donc le premier mensuel féminin initié, dirigé et animé par des femmes afghanes.

Le titre de presse était l’une des rares occasions de lecture et d’ouverture des Afghanes, parmi les premières victimes de la guerre. Roz n’est pas un simple magazine. Il est engagé. « Il fait partie d’un ensemble d’actions que nous menons sur le terrain, telles que l’éducation des femmes et le droit à la formation », explique Chékéba Hachemi.

Les conseils beauté et vie pratique côtoyaient des articles d’analyse et d’actualité, ainsi que des cours d’anglais mais aussi des éditoriaux sur des sujets sensibles ou des interviews de femmes célèbres.

Un véritable succès

Le mensuel était lu par des milliers de femmes et filles dans le pays : c’est l’un des magazines les plus populaires, et surtout c’était le seul magazine féminin publié sans interruption depuis sa parution, cela malgré le climat politique instable. Roz, qui signifie « lumière » ou « jour » en dari, permettait donc d’instruire, informer mais aussi améliorer la vie quotidienne des Afghanes.

Ellefondation
Ellefondation

« Roz était diffusé à environ 6.000 exemplaires chaque mois dans tous le pays pour le prix symbolique d’un pain », précise la créatrice du mensuel. En 2010, huit ans après son lancement, l’Unesco publie un rapport qui précise que Roz fait face à « une demande croissante d’abonnements dans le pays ». Un succès dans ce pays pourtant dévoré par l’illettrisme, particulièrement chez les femmes ou seules 17,6 % en 2011 savaient lire et écrire.

La presse afghane est utilisée comme support pour apprendre à lire dans les zones rurales ce qui permet au titre d’être largement diffusé au sein de la population. Au total, 60 000 personnes lisent ou se font lire chaque mois les articles de Roz, estime sa rédactrice en chef. « Beaucoup de femmes découvrent le magazine lors de séances de lecture publique, dans les écoles. » raconte Chékéba Hachemi.

Des difficultés de financement

Mais en avril 2014, l’aventure connait des difficultés : faute d’argent, le titre après avoir paru 10 ans sans discontinuité et malgré les pressions, arrête d’être publié. Financé presque exclusivement par les dons et les subventions, Roz était depuis quelques années menacé de disparition. En février 2014, Afghanistan Libre lance une campagne de financement participatif afin de tenter de sauver Roz et de sortir le prochain numéro. Mais les dons ne sont pas suffisants,le numéro de mars 2014 est le dernier dans les kiosques.

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L’histoire pourrait s’arrêter là mais Internet va permettre de redonner un nouveau souffle à l’entreprise et de faire renaitre le titre en ligne.

Internet comme renaissance ?

Un plan de sauvetage est mis sur pied. Fini l’édition papier.

«Notre cible, les classes moyennes supérieures, va aujourd’hui chercher l’information sur Internet, explique Xavier Dufrénot, responsable des opérations chez Afghanistan Libre. Nous avons donc décidé de faire de Roz un nouveau média en ligne.»

Le nom change et le contenu aussi. « Roz Media » n’est plus un magazine, mais un site d’actualité et de formations. En plus des articles publiés sur le site, il proposera aussi des cours dans les domaines de la santé, des sciences et de l’éducation. La rédaction en chef espère que le nouveau projet verra le jour en mars.

«Nous souhaitons transformer le magazine en réseau sur le web», précise Chékéba Hachemi, qui souhaite mettre en relation les Afghanes de tout le pays en ajoutant à Roz Media un forum de discussion. «Internet n’étant pas disponible partout, on offrira la possibilité de d’enregistrer les cours en PDF, afin que les Afghanes puissent les imprimer.»

Prochaine étape: renouveler l’équipe de journalistes, ce qui ne sera pas une chose aisée dans un pays où les femmes n’ont encore que peu accès à l’éducation. Beaucoup de journalistes, y compris dans l’équipe de Roz, pratiquent encore l’auto-censure et font l’objet de menaces. De plus aujourd’hui, il semble impossible, même sur internet, qu’un magazine indépendant puisse exister en Afghanistan sans l’appui d’une ONG ou d’une association. Les défis restent toujours d’actualité.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.