MBC : le feuilleton de la télévision publique mauricienne

Balzac affirmait en 1840 que « La presse est en France un quatrième pouvoir dans l’État : elle attaque tout et personne ne l’attaque. » Plus d’un siècle et demi plus tard, ce constat est toujours d’actualité et les dirigeants l’ont bien compris. Et à défaut de ne pouvoir empêcher les attaques, ils peuvent toujours s’assurer qu’elles ne les visent pas. N’a t-on pas plus d’une fois pointé du doigt les relations entre Nicolas Sarkozy et différents patrons de groupes de presse comme Martin Bouygues ou Arnaud Lagardère, discréditant dès lors la crédibilité journalistique des médias et leur capacité à parler objectivement de l’ancien président ? A Maurice, c’est la société de télévision nationale, Mauritius Broadcasting Corporation, qui a été accusé de constamment jouer le jeu du pouvoir en place, au mépris des valeurs défendues par le journalisme.

La société de radiotélévision nationale MBC s’est, au fil des années, forgée une réputation de média au service du parti au pouvoir. En servant ses intérêts et en lui offrant une image irréprochable, elle s’apparente davantage à un service de communication très efficace qu’à un relais d’information fiable. Chacun voulant sa part du gâteau, chaque gouvernement successif s’est toujours assuré que les postes à responsabilités soient occupés par des hommes proches de leurs idées. D’où le jeu de chaises musicale que connait la société depuis sa création en 1944, le directeur variant selon les résultats dans les urnes électorales.

Digne d’un soap opéra

Ceux qui ont connu la MBC de 1968 à 1982 se rappellent d’un audiovisuel d’un autre âge, où aucune autre voix que celle des puissants du jour n’était autorisée. Aucune trace à la radio ou à la télévision de l’opposition, même lorsqu’elle remporta les élections de 76 et que sa victoire fut confisquée par un arrangement post-électoral, pas de passage de chansons engagées, rien qui ne dépasse du cadre strict établi par le gouvernement.

Bien que le nouveau MBC Act fût voté en octobre 82, stipulant de manière explicite l’obligation de « fournir un service d’information indépendant et impartial », certains n’entendaient pas abandonner leur emprise sur le média.

Parmi les nombreux exemples des malversations imputées à la chaîne: on se souvient encore d’ un débat télévisé en direct, axé sur la nationalité mauricienne, qui fut brutalement interrompu lorsque des critiques furent portées par certains participants contre le ministre de l’Intérieur et actuel Premier ministre, Sir Anerood Jugnauth.

Autre exemple, en 2002, la nomination par ce dernier de Torriden Chellapermal au poste de directeur général. Problème, bien que connu du milieu audiovisuel, son arrivée au sommet de la MBC suscita néanmoins quelques remous,  son passé d’attaché de presse de Jugnauth engendrant quelques réserves sur son impartialité.

Avec le retour de Navin Ramgoolam en 2005, ce fut le come-back de Bijaye Madhoo à la tête de la MBC, dont la gestion fut très critiquée, non seulement par le public, mais aussi par un rapport du Management Audit Bureau. Il fut remplacé en 2009 par Dan Callikan, qui agit alors ouvertement comme le directeur de communication du Premier ministre jusqu’à son départ.

Manipulation des images, des propos, des chiffres, chaque gouvernement se sert des chaines de la MBC pour discréditer ses rivaux, diffusant impunément un message mensonger sur des ondes hertziennes censées servir à informer les mauriciens.

Une ère nouvelle

Il n’a pas attendu que le nouveau gouvernement lui indique la sortie pour prendre la porte. Dan Callikan a fait ses cartons le 11 décembre, alors que les résultats officiels des élections n’avaient pas encore été annoncés, emportant avec lui une enveloppe de Rs 5 millions, au nom de la clause de conscience.

Alors que certains employés tentent de retourner leur veste politique pour conserver leur poste, une enquête est menée par l’Independent Commission against Corruption (ICAC) au sein de la société. Des employés inexistants touchant Rs 100 000 ou des postes  accordés à des proches de l’ancien régime sont autant de pistes à explorer. Mais il est aussi question de l’orientation propagandiste donnée au traitement de l’information.

Alors que Pritam Parmessur s’installe dans le nouveau fauteuil de directeur, les employés veulent garder espoir. « Nous ne voulons plus travailler sous l’emprise du gouvernement. Nous espérons pouvoir faire enfin notre métier de journaliste, c’est-à-dire informer la population, tout en respectant le code d’éthique du service public. »

Un (léger) vent de nouveauté

Depuis deux semaines, les différents bulletins d’informations ne durent qu’une trentaine de minutes. Ils sont composés de plusieurs reportages d’une durée maximale de deux minutes. Désormais, les journalistes sont autorisés à traiter des enquêtes judiciaires et de réaliser des reportages de société. « Nous faisons maintenant du journalisme. Avant, c’était une heure et trente minutes d’infos, où l’on voyait uniquement Navin Ramgoolam. Nous étions obligés de suivre l’ex-Premier ministre à chacun de ses déplacements pour en faire notre principale information, car les ordres venaient d’en haut », confie une journaliste. On se souviendra que des membres de la rédaction ont été victimes de représailles ou de réprimandes (mutation, rétrogradation,…) pour n’avoir pu assister aux fonctions de l’ex-Premier ministre, que l’absence de la MBC rendait souvent nerveux. À l’époque, il fallait également savoir faire abstraction des informations susceptibles de mettre le gouvernement dans l’embarras.

Un nouveau départ semble être pris dans les locaux de la MBC, même si beaucoup se montre sceptiques sur la capacité à se renouveler de cette institution historiquement dévouée au pouvoir. En effet, la maitrise de l’information reste un fruit défendu très tentant pour les gouvernants, qui connaissent l’impact des médias sur l’opinion publique. La suite aux prochaines élections.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.