Newsgames : Passez aux commandes de l’actu

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Décrypter l’information autrement ? Press start. Si l’année dernière plusieurs médias avaient pris part à un concours de newsgames en Allemagne appelé Hackathon, The Guardian va plus loin en ce mois de mars 2015. Le quotidien britannique s’associe au festival de jeux vidéo Rezzed Game Festival pour organiser un rassemblement dédié aux newsgames à Londres. Journalistes et codeurs feront équipe pour réaliser le meilleur newsgame relatif à un fait d’actualité paru dans le journal du jeudi 12 mars. Les juges de Creative Assembly (studio de développement de jeux vidéo britannique) et The Guardian rendront ensuite compte de la meilleure production. Expliquer l’actualité autrement et de manière ludique semble  être une pratique qui se développe de plus en plus depuis ces dernières années. Mais où en sommes nous avec le newsgame et dans le contexte actuel, peut-on vraiment jouer avec l’actualité?

Les règles du jeu

Le newsgame, qui peut littéralement être traduit par « jeu d’information », fait partie de ce que l’on appelle la catégorie des jeux sérieux. Il transmet un fait d’actualité à travers les codes du jeu vidéo. Une certaine interactivité avec le lecteur se met alors en place. Elle permet de capter l’attention différemment et apporte ce petit plus que le texte des journaux, la vidéo de la TV ou le son de la radio n’ont pas. Selon Tomas Rawlings, responsable du studio Auroch Digital basé à Bristol et dont les newsgames sont reconnus, l’intérêt de transmettre l’information par l’intermédiaire du jeu vidéo ne peut être efficace que dans le cas où le choix du sujet est malin. On ne peut pas créer un jeu vidéo interactif sur n’importe quel titre d’actualité, aussi important qu’il soit. Ce dernier doit être intéressant sur le long terme car il faut prendre en compte le temps de développement du jeu.

« Ce qui est formidable dans les jeux vidéo, c’est que personne ne lit jamais la notice et pourtant tout le monde apprend ! Il y a une transmission d’informations. »

Florent Maurin à Mediatype, journaliste et fondateur de The Pixel Hunt, agence specialisee dans la production de newsgames 

Et le concept semble s’ancrer dans les mœurs notamment en France puisqu’on constate l’apparition d’agences spécialisées dans la mise en jeu de l’information. Parmi elles, Ask Media, Vedodata et la petite dernière The Pixel Hunt (littéralement la chasse aux pixels) créée par Florent Maurin, journaliste de formation et ancien rédacteur en presse jeunesse (BayaM). Lauréat du prix Google-Sciences Po en 2014 dans la catégorie « Start Up de l’info », il a pu créer son propre studio de production spécialise dans les newsgames. Il explique à Mediatype être passionné de pédagogie, et que celle ci ne s’applique pas seulement aux enfants mais aussi à l’information pour les adultes. Pour avoir un ordre d’idée du budget que peuvent représenter de telles productions journalistiques, cela peut aller de « 5 000€ pour un newsgame éditorial, un petit jeu qui va être joué en quelques minutes avec un message fort et pugnace, à 650 000 € pour “Fort Mac Money”. » Ce dernier est un documentaire/jeu vidéo réalisé en 2013 par David Dufresnes en partenariat avec Le Monde, Süddeutsche Zeitung, Radio Canada et The Globe and Mail. Les joueurs peuvent alors incarner différentes postures et décider comment exploiter les sables bitumineux de l’Athabasca au Canada.

Mettre son public à contribution pour une compréhension facilitée des sujets sensibles de l’actualité est un bon exemple de la plus value qu’apporte le newsgame. Ainsi, le jeu « End Game : Syria » a été le premier jeu vidéo à visée pédagogique ayant pour sujet un conflit en cours. Lancé en 2012 par le site GameTheNews.net, le joueur doit alors prendre un certain nombre de décisions politiques et militaires pour mettre fin au conflit.

Impression d'écran du jeu "End Game : Syria" depuis le site http://gamethenews.net/index.php/endgame-syria/
Impression d’écran du jeu “End Game : Syria” depuis le site http://gamethenews.net

 

Activer le mode autodéfense

Cependant, chaque concept, aussi novateur qu’il soit, semble avoir ses limites. Présenter l’actualité de façon ludique peut faire polémique. Par exemple, le jeu « End Game : Syria » a été le sujet de plusieurs controverses. D’abord rejeté par l’App Store, ses créateurs ont confié à The Guardian avoir reçu des critiques virulentes tant sur le caractère inconcevable de traiter un sujet aussi sérieux à travers le jeu que sur «  la probabilité que le jeu soutienne les rebelles car il se joue de leur côté ». On touche aux questions de la subjectivité journalistique et du caractère interactif de l’information qui n’est pas accepté universellement. Plus que jamais, le journaliste doit se tenir prêt à défendre son travail. Dans ce cas, il s’agit de démontrer qu’un « jeu sérieux » n’est pas un oxymore.

Enfin, preuve que le newsgame se démocratise en 2015, des formations spécifiques sont proposées aux journalistes professionnels. C’est le cas du CFPJ qui propose notamment des cours de « Rhétorique procédurale, game design, level design et narrative design ». Cependant tous les journalistes ne sont pas des développeurs. Lors du News Hackathon de 2014, le journaliste du Guardian avait repris un tutoriel du jeu Flappy Bird sur internet pour réaliser son newsgame. Rawlings rapporte dans The Guardian que rien n’est plus logique puisque « cela se produit tout le temps en journalisme: les informations sont faites de phrases accrocheuses reprises pour faire des titres accrocheurs ». Mais en 2015, le journaliste a-t-il pour ambition de se reposer sur des techniciens pour délivrer l’information ? Alors, newsgame, concept intéressant et pédagogique, c’est certain. Mais avenir du métier, pas sûr.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.