Les médias ne savent plus quoi faire des commentaires (1/2)

Si les commentaires des articles en ligne prêtent généralement à rire, souvent à critiquer, quelquefois vont trop loin, peuvent parfois émettre une réelle opinion ou servent seulement à troller, ils sont une véritable épine dans le pied des médias. Pourquoi les laisser, pourquoi les supprimer. Il n’existe pas de réponse exacte, mais certains ont fait leur choix. Ce mini-dossier ne veut pas peser le pour et le contre mais exposer un avis, une décision qui pourront peser dans la balance.

Entre une liberté totale, restreinte ou nulle, le choix n'est pas simple pour les médias. (Photo V.C.)

Bien que l’on puisse considérer les commentaires comme une plateforme d’expression, où la liberté est plutôt contrôlée, les internautes ne mâchent pas leurs mots. Contre le média, contre le journaliste, contre les idées, contre l’écriture, contre le sujet… Le lecteur du numérique, lorsqu’il prend la peine de rédiger un avis, est rarement positif. Et c’est justement le problème que des grands noms comme Reuters ou Bloomberg ont décidé de résoudre d’une manière catégorique : sus aux commentaires ! Ils ont même ensuite été confortés dans cette idée, plusieurs sites ayant profité de cette audace pour s’engouffrer dans la brèche.

Alors quand une voix s’élève, et pas des moindre, pour crier haut et fort que la suppression des commentaires est « une erreur monumentale », forcément ça fait du bruit. L’homme, le frondeur, l’impudent même, est Aaron Pilhofer. Il est tout simplement l’éditeur numérique du Guardian, l’un des quotidiens britanniques d’information les plus influents. Et sa voix pèse d’autant plus qu’en 2012 par exemple, leur site internet était le troisième site le plus consulté au monde ! A noter aussi que le monsieur était auparavant dans l’équipe du New York Times. Et c’est lors d’un talk pendant la conférence du News:Rewired — un événement centré sur le média digital —, qu’Aaron Pilhofer a lâché ses bombes.

En pointant du doigt le fait que les rédactions ne profitent pas pleinement des capacités offertes par le web pour créer une relation bilatérale avec les lecteurs, il a reproché à demi-mots le refus de faire progresser le journalisme à l’aire numérique. Il est d’ailleurs « absolument convaincu que le journalisme en ligne a besoin d’être un échange avec les lecteurs. C’est l’un, sinon le domaine prioritaire d’intérêt que les rédactions traditionnelles ignorent totalement ». Avant d’ajouter, à la fois comme une sentence et une accusation : « Vous voyez, site après site, la mort des commentaires et l’abandon progressif de la communauté d’internautes – c’est une erreur monumentale… les lecteurs ont besoin et méritent d’avoir une voix. Ils devraient être la partie essentielle de votre journalisme” »

Alors que faire ? Le Guardian de son côté a décidé de prendre le sujet à bras le corps et de s’immerger totalement dans cette voie. Grâce à des projets comme le Guardian Witness – un site où les internautes peuvent suggérer des sujets, des histoires et même faire partie du reportage -, ou les multiples expériences de crowdsourcing, ont fait du journal l’un des précurseurs d’un véritable « open journalism ». Alors défi utopique ou véritable révolution, il faudra attendre encore un peu avant de le savoir. Mais le Guardian a au moins le mérite de tenter, d’essayer, ce qui peut cruellement manquer aujourd’hui dans le journalisme. « Ceux qui commentent ne représentent pas nos lecteurs, et ne sont souvent même pas des vrais lecteurs ». Voilà en général la défense engagée par les médias qui ont choisi de zapper les commentaires, comme Bloomberg.  Certes, il y a une part de vérité. Mais comment trier le bon grain de l’ivraie ? Là est le casse-tête.

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Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.