Facebook, Twitter, la voix du gouvernement argentin résonne en 2.0

Les réseaux sociaux se font le porte-parole du gouvernement de Cristina Kirchner embourbé dans un scandale politique retentissant suite à l’affaire Nisman. Une véritable fièvre médiatique s’empare des canaux d’information et c’est sur Twitter ou Facebook que l’on scrute les dires de l’État.


Pas un jour sans son lot de rebondissements. Buenos Aires se réveille chaque matin un peu plus paranoïaque depuis que les médias couvrent non-stop l’une des affaires les plus marquantes de l’histoire du pays après la crise de 2001. La presse, très polarisée pro ou anti gouvernement offre chaque jour une couverture très “sensationnaliste” des faits. C’est une guerre médiatique plus qu’un récit de faits concrets car aucun des scandales qui éclatent en ce moment n’a pu être élucidé. Il faudra donc être patient, et, en attendant, le café du matin se savoure avec les dernières petites phrases assassines des figures officielles.

Dernier coup d’éclat en date, un selfie. Peu commun de la part d’un chef d’Etat, la photo de la présidente faisant la moue devant la foule venue à un de ses meeting a immédiatement fait polémique.

Au milieu de toute cette folie médiatique, le gouvernement agit d’une manière bien particulière. Ce sont des tweets ou des posts qui font office de déclaration d’État. Cette communication 2.0 n’est pas nouvelle, la présidente est habituée à réagir via son compte Twitter @CFKArgentina qui compte plus de 3,5 millions d’abonnés ou son compte Facebook (suivi par 1,5 million d’internautes). Les Argentins lui reprochaient ses allocutions via la chaîne télévisée nationale, elle leur parlera désormais en 140 signes.
Le 13 février dernier, les médias s’emballent après l’annonce du procureur Gerardo Pollicita de demander l’inculpation de Cristina Kirchner et de son ministre des Affaires étrangères Hector Timerman pour “les délits d’entrave à la justice et manquement au devoir d’un fonctionnaire“. Depuis que le procureur Alberto Nisman, en charge de l’enquête sur l’attentat de la mutuelle juive AMIA a été retrouvé mystérieusement mort à son domicile la veille d’une importante allocution où il devait présenter ses accusations contre le gouvernement, c’est toute la structure administrative du pays qui vacille.

Nisman, enquêtant sur le dossier AMIA depuis 2004, a été retrouvé mort le 18 janvier dernier, et assurait que l’attentat avait été commandité par l’Iran. Le pouvoir aurait mis en place un plan visant à protéger les Iraniens de poursuites judiciaires en Argentine. La présidente est clairement mise en accusation ainsi que plusieurs haut-fonctionnaires dont des ex-membres des services de renseignement.

La polarisation des médias est à son comble.

La page Facebook de la présidente est un indicateur de la théâtralisation de la présidence, faisant la part belle aux photos format large. Une communication très soignée qui met en avant certaines actions du gouvernement et ne laisse rien au hasard.

Alors que Mme Kirchner se retrouve accusée, à quelques mois à peine de la fin de son deuxième mandat à l’issu duquel elle ne peut pas se représenter selon la Constitution argentine, son équipe de communication met l’accent sur le bilan de sa présidence (2007-2015). Système de santé, retraite, investissement dans les infrastructures publiques, telles que les hôpitaux et les écoles, ces thèmes sont mis en avant dans chacune de ses publications. Tout sourire, elle pose sur les photos entourée de la classe populaire.

Autre arme de communication favorite de la présidente argentine, le tweet. Récemment en visite officielle en Chine afin de passer des accords commerciaux, elle s’est permise de blaguer sur l’accent chinois et a immédiatement provoqué de vives réactions.

Ironisant sur la difficulté pour un chinois de prononcer les lettres “L” et “R”, la présidente a tweeté, le 4 février “Alors ils seraient tous de la Campola?” (se référant a la Campora, l’organisation des jeunesses Kirchnéristes de son propre parti). “Ou seulement sont ils venus pour le riz et le pétrole?”, a t- elle poursuivi, interchangeant les consonnes “R” et “L”.

Dans ce tweet, au dela de la référence peu délicate aux principales ressources du pays asiatique et a l’accent des Chinois, Mme Kirchner faisait référence au millier de chinois présents : souhaitant couper court aux reproches de l’opposition qu’un tel type d’évènement n’est fréquenté que par des membres partisans de son parti. La présidente manie les messages à double sens. Car si elle se félicite ici du succès d’une conférence en Chine, le message est clairement une réponse à ses détracteurs.

Ce n’est pas l’aspect de la blague linguistique ou d’une supposée offense au peuple chinois qui intéressait réellement les médias mais le message sous-entendu, directement envoyé à l’opposition.

Certains observateurs déplorent que les tweets de la présidente soient largement commentés dans les médias, occultant en partie la raison première de ses déclarations. Son déplacement en Chine, par exemple, qui s’est conclu sur la signature plusieurs accords, n’a suscité presque exclusivement que des articles sur la polémique autour des tweets.

Mme Kirchner avait réagi immédiatement dans un second tweet pour souligner que le battage médiatique entraine une vague de désinformation se référant à “l’affaire Nisman”. Le gouvernement dénonce un complot et se dit victime d’un acharnement médiatique.

À quelques mois des élections présidentielles, la bataille fait rage, le tourbillon médiatique ne facilite pas la compréhension de la situation, et les Argentins ne savent plus où s’informer. Ils gardent pourtant une part d’autodérision, nécessaire au milieu de cette crise politique. À Barrancas, le Chinatown de Buenos Aires, quelques jours après le tweet moqueur de Mme Kirchner, des milliers de personnes défilaient dans les rues pour le Nouvel an chinois, et on pouvait lire des banderoles ironiques reprenant le jeu de mots sur l’accent chinois en espagnol, adressées à la présidente “Klistina”.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.