Podemos, dans la ligne de mire des journaux espagnols?

queremos mentiras con mas calidad
Samedi 31 janvier, les manifestants réunis dans les rues madrilènes dénonçaient « la corruption » de certains membres du gouvernement en place, le PP (le Parti Populaire) de Mariano Rajoy. Photo : A. Cros

La médiatrice des pages d’opinion du quotidien El Pais ne le cache pas, le quotidien de référence espagnol a commis une “erreur” journalistique en tentant de décrédibiliser Podemos, le parti de la gauche radicale espagnole qui organisait ce week-end une « marche pour le changement », ayant rassemblé près de 150 000 personnes dans les rues de Madrid.

La journaliste Lola Galan, porte-parole des lecteurs de El Pais, a reconnu dans une tribune lundi 2 février, « une erreur » de la part du quotidien espagnol. Celui-ci affirmait mercredi dernier que Juan Carlos Monedero, secrétaire général du parti de gauche Podemos et professeur à l’Université Complutense de Madrid, avait menti au sujet de son curriculum vitae sur ses visites en tant que professeur « invité » à l’Institut Politique de l’Université Humboldt de Berlin et de l’Université latino-américaine de la Puebla à Mexico.

« La soif investigatrice est au fondement même du journalisme, mais la prudence doit être privilégiée surtout lorsqu’on prétend effectuer des découvertes et les évaluer avec cette même attention. Lorsque ce critère n’est pas appliqué, des erreurs peuvent se reproduire, comme celles qui ont faites l’actualité de ce journal, mercredi 28 janvier, sur Juan Carlos Monedero », a-t-elle reconnu.

Ce jour-là, le quotidien titrait « Monedero falseó el currículo sobre sus cursos en Alemania y en Mexico » (« Monedero a trafiqué son curriculum vitae au sujet de ses cours en Allemagne et au Mexique), joint d’une annotation « Profesores a los que cita como referencia niegan conocerle » (« les professeurs qu’il cite comme références nient le connaître »).

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Selon la médiatrice du quotidien, les auteurs de cet article Vicente G. Olaya et Isabelle Cuesta, qui ont jugé bon de lui accorder une page entière du journal,  se fondaient sur le fait qu’aucune de ces deux universités n’avaient mentionné l’avoir connu, et qu’il n’existait aucune trace écrite de son passage dans ces deux Universités. Avec seulement à l’appui le témoignage d’un professeur de l’Université berlinoise qui ne se souvenait pas de Monedero et dont, disait-il, la mémoire était défaillante.

Monedero, la bête noire des journaux

Des accusations rapides sur fond de preuves assez légères, d’autant que le lendemain, El Pais recevait un démenti de la part de la Puebla, l’une des deux universités en question. Dans un communiqué, celle-ci confirmait que « Monedero avait bien été professeur invité durant cinq été consécutifs » (2006-2010), au cours desquels il rendait de « courts séminaires d’analyse politique dans diverses institutions, dont l’Université Puebla de Mexico ». De son côté, l’Université berlinoise a ensuite confirmé à l’AFP que Monedero avait bien donné des cours dans ses salles.

L’ascension fulgurante dans les sondages de Podemos (qui sonne comme le « Yes we can » américain), inquiète la classe politique et certains médias espagnols qui semblent voir d’un mauvais œil la popularité du nouveau parti. Le Parti populaire (PP), gouvernement de droite de Mariano Rajoy dénonçait en décembre dernier un mouvement « qui se fonde sur la démagogie et le populisme». Dans la presse espagnole, certains médias de droite l’ont même parfois associé au groupe séparatiste basque de l’ETA, auteur de plusieurs attentats.

Dans l’une de ses tribunes, la porte parole des lecteurs du quotidien El Pais, Lola Galan, soulignait en décembre le malaise de ses lecteurs face à des titres éditoriaux « injustes et mensongers » de certains quotidiens espagnols. Aujourd’hui encore, de nombreux articles évoquent les irrégularités présumées des dirigeants de Podemos. En ce qui concerne la télévision publique, certains journalistes dénonçaient également à travers la société des rédacteurs, le fait que Pablo Iglesias, leader du parti, n’ait été invité qu’une seule fois sur la chaîne publique depuis mai 2014.

Dans le programme d’El Intermedio, diffusé sur la chaîne de la Sexta, l’équivalent du Petit Journal français, les présentateurs Sandra Sabatés et El Gran Wyoming ironisaient sur la couverture médiatique de Podemos : « Podemos, un partido en que determinados medios buscan desmonstar, consiguiendo en efecto contrario que tengan mas notoridad » (« Podemos, un parti que certains médias déterminés cherchent à démonter, le rendant  au contraire encore plus célèbre »).  Et plus loin, à la fin de la chronique, le présentateur El Gran Wyoming se moque une dernière fois : « Sandra Sabatés, si acusas a la derecha mediatica de algo, tendras que demostrarlo, si no tiene pruebas siempre puedes acusar a Podemos » (« Sandra Sabatés, si tu accuses la presse de droite de quelque chose, tu dois le démontrer, si tu n’as pas de preuves, tu peux toujours accuser Podemos »).

https://www.youtube.com/watch?v=ivfVKKx7vas

Il y a deux semaines, Juan Carlos Monedero était encore dans la ligne de mire des journaux, qui le soupçonnent de fraude fiscale. Selon le pure-player El Plural, le premier média à divulguer l’information, ce dernier aurait monnayé à prix d’or (soit 425 000 euros) ses activités de conseiller avec le Venezuela sur la création d’une monnaie commune en Amérique Latine. Une somme d’argent conséquente qui selon le professeur, serait destinée à financer La Tuerka, la chaîne d’information politique de Podemos. Mais pour certains médias espagnols, qui voient en cela un conflit d’intérêt, cet argent aurait servi à financer directement le parti de Pablo Iglesias.

Chaque jour, ces médias publient de nouvelles « révélations » qui selon eux, dévoilent le vrai visage de Podemos, accusé d’être financé par le Venezuela. Encore une fois, une accusation qui reste à prouver.

Le professeur de l’Université Complutense, Monedero, s’était alors rendu sur la Sexta pour défendre « la transparence de son parti » :

La consultation internationale est très bien payée, c’est une réalité. Mais les institutions te payent quand ils le peuvent, ou s’ils le veulent. C’est un travail qui a commencé il y a longtemps, et le versement ne s’est fait que maintenant, c’est pour ça que la somme semble mirobolante.

L’information avait été d’ailleurs confirmée à El Pais par le président du syndicat des affaires techniques du Ministère des finances espagnol, Carlos Cruzado. L’expert de la finance soulignait qu’il s’agissait bien d’une pratique « courante » qu’une entreprise rémunère en l’espace de deux mois, et bien plus tard, dans ce cas précis, trois ans après que des travaux aient été effectués. L’expert justifiait également le fait que Monedero n’inclut pas dans ses factures l’IVA (l’impôt espagnol) « concernant des services à destinations de pays en dehors de l’Union Européenne ». Pour l’heure, cette affaire reste encore floue, des éléments restent encore à confirmer. Une chose est sûre, ces attaques à répétition risquent bel et bien de remettre en cause en Espagne ce qui constitue l’identité du parti de la gauche radicale qui rêve d’un destin à la Syriza (le parti anti-austerité ayant remporté une victoire historique lors des élections législatives grecques).

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Podemos, un parti anti-austérité issu du mouvement des Indignés

Pour rappel, lors des élections européennes en mai 2014, Podemos décrochait cinq sièges, et 1,2 millions de votes. Une progression fulgurante, qui s’est vérifiée samedi 31 janvier, dans les rues de Madrid, où 150 000 personnes ont défilé pour ce qui constituait en quelque sorte, le lancement de la campagne électorale de Podemos. Un parti issu du mouvement des Indignés né le 15 mai 2011 dans les mêmes rues madrilènes. Le mouvement y dénonçait la haute finance et la corruption, tenue pour responsable du chômage en Espagne, un pays où 23 % de la population active est sans emploi.

Dans son discours samedi, le leader de Podemos et allié de Syriza, Pablo Iglesias rendait hommage « au peuple ayant subi l’appauvrissement et l’humiliation ». « Il faut des rêveurs courageux pour défendre ceux d’en bas », faisant référence au personnage de Cervantès : « nous sommes un pays de citoyens, nous rêvons comme Don Quichotte mais nous prenons très au sérieux nos rêves » a-t-il lancé sur la place noire de monde de la Puerta del Sol. « Si se puede, si se puede » chantait la foule avec des drapeaux « TIC TAC, TIC TAC, c’est l’heure du changement ».

Des milliers de personnes (300 000 selon la formation de la gauche radicale, 100 000 selon la police) ont manifesté de Cibeles jusqu'à la Puerta del Sol pour dénoncer "la corruption" et clamer "une plus grande justice sociale"
150 000 personnes ont manifesté samedi de Cibeles jusqu’à la Puerta del Sol pour dénoncer “la corruption” et clamer “une plus grande justice sociale”. Photo : A. Cros

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.